L'âme du vin et du vigneron

Au lever du jour, le vigneron s’incline vers la terre. Ses mains plongent dans le sol comme les racines de la vigne, et déjà, il devient le Pur Sang de la parcelle, bondissant avec elle hors de la nuit. Chaque grappe qu’il effleure porte la trace de sa patience. Elles sont promesses muettes, mais aussi fardeaux fragiles, car le temps inscrit dans leur chair est aussi La Tâche
qu’il porte sur ses propres épaules. Quand vient la vendange, il cueille chaque fruit comme un fragment de sa propre vie.
Dans le pressoir, il entend la vigne crier, mais il sait que cette douleur est passage : libération du jus, comme la sienne quand il se livre au cycle des saisons. Alors il accompagne son vin dans l’ombre des caves.

Tous deux s’y apprennent, l’un veillant, l’autre se transformant. Ils deviennent comme un Cheval Blanc, nobles, fougueux, avançant ensemble dans la course silencieuse du temps. Près du Moulin-à-Vent, il sent le souffle de l’invisible. Il tourne avec le vin, il se laisse façonner comme lui par ce vent qui sculpte la pierre. Puis le feu revient, et dans l’obscurité naît une Côte Rôtie : ardeur et tendresse mêlées, comme la force de ses bras et la douceur de ses gestes. Un soir, il lève le verre, et tous deux éclatent en Mousseux, bulles de rire, joie suspendue, où l’instant devient éternel.

Mais la clarté n’est pas moins forte : ensemble ils se purifient en Riesling, tranchants, limpides, comme une vérité de cristal que rien ne peut ternir. Au pied du Pic Saint-Loup, il contemple son œuvre comme on contemple une forteresse, vigie des siècles et des orages. Dans le Clos des Fées, il devine les murmures de la vigne, mais aussi ses propres secrets, comme si la terre lui parlait à travers le vin. À Bandol, il sent le sel et la mer. La rudesse du soleil se mêle au parfum de lavande, et dans cette alliance il reconnaît son propre cœur : robuste mais apaisé, brûlé mais parfumé.

Alors il s’enracine comme un Cèdre, colonne de sagesse face au temps. Car le vin et lui ne font plus qu’un :
fidèles, immobiles, indestructibles. Mais parfois, l’inattendu frappe. Tous deux tombent comme un Astéroïde,
rares, bouleversants, un éclat du ciel tombé entre les mains des hommes. Enfin, vient la bouteille. Elle n’enferme pas seulement le vin : elle garde aussi l’empreinte de celui qui l’a fait naître.
Car dans chaque gorgée, il y a la sueur du vigneron et le souffle de la vigne. Alors, dans le silence d’un verre tendu, ils se révèlent ensemble en Saint-Vivant : preuve qu’une parcelle infime peut contenir l’infini, et qu’un homme et son vin peuvent se confondre jusqu’à devenir éternels.